Le style rétro envahit depuis quelques années nos grands et petits écrans : The Artist, Moonrise Kingdom, Mad Men, Boardwalk Empire, Mildred Pierce, Life On Mars, etc. Comment expliquer une telle nostalgie dans le domaine de l'audiovisuel, et plus largement dans la culture actuelle ?
Mildred Pierce, mini-série HBO |
Généralisé
à plusieurs secteurs de la vie sociale et culturelle, le rétro marketing constitue
essentiellement un épiphénomène : en période d’incertitudes, le passé
apparaît comme un âge d’or d’avant la chute, à l’image de la série Mad Men qui renvoie le téléspectateur à
un état d’infaillibilité de la société de consommation.
Vu comme un patrimoine
sécurisant, ce passé est systématiquement idéalisé, à l’instar des Trente
glorieuses (1945-1973) qui coïncident avec une période d'essor
économique. Les années 50 et 60 fascinent tout particulièrement
parce qu’elles sont relativement proches de nous, tout en représentant des
décennies où les gens avaient une grande confiance en l’avenir et le progrès
technologique. Ils voyaient d’ailleurs les années 2000 sous le filtre d’un
optimisme sans limite, lui prêtaient toutes les révolutions et toutes les utopies.
Le cinéma et la télévision n’échappent pas au
raz-de-marée rétro qui envahit notre culture contemporaine: mais
au-delà de la donne purement nostalgique, chaque produit audiovisuel travaille des thèmes qui reflètent des préoccupations sociales
précises. A travers les questions de l’essor de la société de consommation, de
la rigidité des rapports de genre, de classes, de races, etc., de l'hypocrisie du système capitaliste, Mad Men fournit une sorte
de « documentaire » passionnant sur les années 60.
Mais cette série permet également de
mesurer l’écart qui sépare cette époque de la nôtre, en valorisant implictement
le chemin parcouru, notamment en matière d'égalité entre homme et femme, d'hygiène, d'écologie ou de recherche
scientifique. L’ambiguïté est là : à travers la représentation du passé,
on veut s’évader du présent pour mieux apprécier ce qu’il a de meilleur, cependant que les sixties ne
cessaient d’imaginer ce que seraient les années 2000.
Grâce
au motif du passage du cinéma muet au cinéma parlant et sonore, The Artist de son côté propose une réflexion sur les conséquences des transitions
technologiques qui innervent l’histoire des médias. Alors que l’intelligentsia
s’interroge sur les retombées psycho-sociales du tout-numérique, ce film résout
les tensions engendrées par le changement au travers d’une adaptation
laborieuse mais réussie du héros à un nouveau contexte de production industrielle. En puisant dans
l’expérience du passé, il apporte donc des réponses possibles sur un futur
hypothétique.
L’excellente
série télévisée Life On Mars (BBC, puis remakes américain et espagnol)
est révélatrice à cet égard : suite à un accident, le héros est propulsé
dans son passé (les années 1970) pour mieux appréhender sa vie en 2006 (et,
partant, toute son époque), la mise à distance historique ayant valeur
heuristique.
Son voyage temporel emblématise d’ailleurs la posture du
spectateur qui retrouve des éléments familiers et rassurants du passé, mais qui
en répudie d’autres nettement rétrogrades (le machisme ou la violence des forces policières), d’où la mise en valeur indirecte des avancées
techniques et sociales franchies en 30 ans. Au cinéma et à la télévision, la
fascination pour le style vintage ou rétro ne se résume donc pas à un simple
emprunt esthétique mais ouvre à un questionnement plus général sur la société
en surdéveloppement et ses effets ambivalents.
Cette tendance nostalgique va-t-elle perdurer ?
En ce qui
concerne le cinéma et la télévision, c’est difficile à prédire, mais tant que
la crise économique persiste, on peut penser que la vogue rétro va se prolonger au
travers de produits qui utilisent la référence à l’ancien pour exorciser les
angoisses du présent. Tant que la nostalgie répond aux besoins de nouveauté et
de créativité du consommateur, la mise au goût du jour des valeurs anciennes
continuera certainement a avoir du succès.
De nos jours, il faut cependant
remarquer que la référence au rétro se réduit souvent à une esthétique
superficielle appliquée à des objets tout à fait modernes, comme on le constate
par exemple dans l’électroménager, la mode de grande consommation, l’électronique ou l’automobile. Si le vintage
perdure, c’est en tant qu’argument de vente très rentable parce qu’il est
associé à une nostalgie essentiellement psychologique : il rappelle le
mode de vie de nos parents et de nos grands-parents dont on connaît la
trajectoire personnelle (la connaissance ici devient une forme de maîtrise bienvenue en ces temps houleux), ou
alors il suggère une enfance encore insouciante et gaie. Le passé devient un
réservoir de mythes positifs dans lequel on aime à se réfugier.